Vendredi. C’est jour de fermeture ici. Moins de monde dans les rues, moins de circulation. Ca tombe bien. Il faut bien se lancer. Ce sera ce jour. Direction Old Dhaka, le centre. Adieu les larges avenues. On va aller s’imprégner de la ville, à rickshaw.
Il est 11h00. Je rejoins Gulshan 1 depuis Gulshan 2 par de petites rues ombragées. Quartier résidentiel, bien loin de l’animation apocalyptique du centre du vieux Dhaka. Je farniente au guidon du rickshaw, pédalant lentement. Je lève la tête, à gauche à droite, observant de bien belles maisons parfois. Certaines font dans le High-Tech avec parois vitrées, d’autres dans le « classique » avec colonnes. Des panneaux « To let », « No parking » ici et là dans le quartier. Des panneaux que je n’ai pas vus à Kolatori (1)
Je croise des rickshaw wallahs. Ils me sourient.
« - Baloacen »(2)
« - Balo, Balo »
L’insolite inspire toujours les sourires.
Je rejoins la South Avenue. Quelques dizaines de mètres et me voici à Gulshan 1.
Je traverse le carrefour et emprunte une rue bordée de part et d’autre par Gulshan Lake. Des baraquements de tôle ondulée sur pilotis bordent le plan d’eau sur la gauche. Pas de barques, pas de pêcheurs. Les pilotis s’enfoncent-ils peut-être. Les baraquements penchent. A l’image peut-être de la vie de leurs habitants. Perpétuel équilibre. Etrange assimilation. Facile. Je sais.
Je poursuis ma route, et arrive sur la DIT Road qui me conduira sur les quartiers arrières du vieux dhaka. Je dois traverser, voilà tout, la deux,trois, quatre voies, on ne sait pas au juste, qui vient de ma droite, pour gagner ensuite la voie qui vient de ma gauche, séparée de la précédente par un terre-plein central étroit, de terre et de béton, haut d’une cinquantaine de cm.
Je remarque un carrefour sur ma droite, à une centaine de mètres. C’est donc par là qu’il me faut passer pour « contourner » le terre-plein central.
Je ne suis pas seul à envisager cette solution. Devant moi, un jeune homme conduit un rickshaw carrier et semble aller dans ma direction. Je m’abrite derrière lui, le suis dans ses mouvements d’évitement.
C’est donc parti, me tiens bien à droite.
Je me trouve nez à nez dès les premiers mètres avec des rickshaw wallahs venant en sens inverse.
« - Dring ! Dring ! Dring ! »
J’y vais de ma sonnette, à tue-tête, à tue-sonnette.
« - Dring ! Dring ! Dring ! »
Coup de guidon à droite. Coup de guidon à gauche. Ca passe. Ca passe toujours.
On va droit, quelques mètres.
Re-coup de guidon à gauche, re-coup de guidon à droite.
Nous arrivons lui et moi à proximité du carrefour. Je l’observe pour m’inscrire dans son sillage. Nous sommes l’un et l’autre sur le bas coté. Nous allons lentement. Un coup d’œil vers l’avant, vers l’arrière. No trafic. Un brusque coup de guidon à gauche, puis il se redresse alors, droit, debout sur ses pédales, bascule dans un geste lent son corps sur la gauche, puis sur la droite. Il se met en danseuse. Je m’engage derrière lui. Trois, quatre, cinq coups de pédales et nous traversons la voie. Première étape franchie. Il nous faut maintenant nous inscrire dans le trafic qui vient de notre gauche. Coup d’oeil vers l’arrière. Le bus est loin. J’ai le temps de passer. Je m’engage, et m’immerge dans le trafic. Le rickshaw wallah a suivi. Il se retourne vers moi, me regarde, me sourit. Complicité d’une étape franchie. Cette épreuve, cette « survie » dans le trafic urbain est le lot quotidien des rickshaw wallah ici. Rien d’exceptionnel pour lui. Il faut « vivre », « survivre ». Il faut passer.
Il n’ y a maintenant plus qu’à suivre la DIT Road jusqu’à Old Dhaka.
Je lance le rickshaw, double un rickshaw de « drink water ». Les fontaines à eau ont du succès ici aussi.
Le trafic est dense, mais « supportable ». Les rickshaw sont nombreux sur la route. Il y a celui qui transporte des machines à coudre, un autre des bambous. Ils dépassent du rickshaw de 4 bon mètres vers l’arrière, retombent vers le sol sous l’effet de leurs poids, de 3 bons mètres vers l’avant, retombent vers le sol aussi.
Je double un rickshaw- wallah qui doit être de déménagement. Il y a de tout sur le rickshaw. Une table les pieds retournés, des ustensiles de cuisines en alu, des couvertures, des chaises de bois, et d’autres meubles, je n’sais encore. Je n’ose penser au poids.
Le long de la route, arrêté, un homme propose le jus de canne a sucre. Posé sur le plateau d’un rickshaw carrier, le « presse-canne à sucre ». Un adolescent est là, attendant sa boisson. L’homme engage la canne à sucre entre deux rouleaux métalliques, tourne une manivelle. La canne a sucre progresse, écrasée, et extrait son jus que l’homme récupère.
Entre les shops, sur la gauche, un autre « Lake », bordé, aussi, par un baraquement de tôle. Le bâtiment semble abandonné. L’eau arrive au pied de la porte, ouverte, ne semble vouloir entrer. Par pudeur d’inondation peut-être. Pourtant, parfois, elle ne se gêne pas ici dans le pays.
Il y a là de part et d’autre de la route, des ébénisteries, des mécaniciens en tout genre, des réparateurs de vélos, des chaudronniers, des marchands de bois, des garages à rickshaws. Sur les trottoirs, les vendeurs de pan sont là, de cigarettes, d’œufs, de coupe-faims et d’autres choses encore. Des cireurs de chaussures, assis en tailleurs à même le sol sur les trottoirs attendent des clients.
Un homme va sur le bas coté de la route, tenant à la main par les pattes six ou sept poules, la crête en bas. Il crie quelques mots de temps en temps, annonçant sans doute qu’il a de bien belles poules à vendre.
Sur la droite de la route, un marché aux bambous. Les bois sont longs, rangés en tas suivant leur taille sur un vaste terrain herbeux bordé de quelques arbres. Quelques petites chèvres noires broutent au milieu.
Une cote s’annonce. J’approche. Certains rickshaw wallahs se redressent, se mettent en danseuse, forcent sur les pédales, question de fierté peut-être. D’autres, peut être plus usés par le métier, descendent de leur rickshaw sitôt la montée se faisant ressentir. Je gravis les quelques mètres en forçant plus qu’à l’accoutumée.
Cette cote permet de franchir un cours d’eau étroit. Je redescends de l’autre coté, prudemment, les mains sur les freins.
Au bas de la descente, sur la gauche sur le trottoir, espacés régulièrement, des hommes assis au sol vendent des viennoiseries sous sachet plastique.
Je poursuis ma route, franchis la voie ferrée. Entre deux voies de chemin de fer, un adolescent vend des petits fruits ronds verts. Coup d’œil à droite, à gauche. Les voies sont encombrées de monde. Elles semblent être une voie supplémentaire de circulation piétonne. Sans doute que le train ne surgit jamais rapidement ici, de quoi laisser le temps aux uns aux autres de se ranger.
Je poursuis mon chemin, m’arrête de temps en temps pour consulter mon plan.
A cette occasion, certains passants lisent les quelques lignes traduites en Bangla accrochées au rickshaw. Parmi eux, un homme me demande ce que je veux faire exactement, si je veux créer une association pour aider les rickshaw wallahs. Un autre me demande si je suis journaliste ( ? ).
« - No, only tourist ! »
Certains passants, les quelques lignes lues, me tapent amicalement sur l’épaule, me sourient. Ils me lancent un regard qui se suffit à lui même, qui rend les mots superflus, puis poursuivent leur chemin.
J’intrigue sans doute, en dépit de ces quelques mots explicatifs en bangla accrochés aux rickskaw, en dépit de mes explications.
Je m’approche des quartiers arrières du vieux Dhaka. Les avenues sont larges, bordées de hauts buildings. Je stoppe à un carrefour. Un policier organise au mieux la circulation. Sur la gauche, à proximité, un homme peint méticuleusement au pinceau une bande bleue sur une barrière faite de tôle métallique. Pas de règle, pas de repère, pas de mètre. Rien. Un travail soigneux, au mieux, et ça fera l’affaire.
Le policier nous laisse la route. Il me souris, et me lance un « Baloacen ». Lui aussi .
Quelques centaines de mètres plus loin, deux enfants assis au sol jouent sur un trottoir. Je m’arrête, gare le rickshaw et m’approche d’eux. Ils ne parlent pas « english ».
« - Only bangla ! » me disent-ils.
Ils sont assis autour d’un quadrillage tracé au sol d’une craie orangée. Des petits cailloux gris et des petits bouts de branches vertes sont posés à certains croisements de lignes. Ils les déplacent à tour de rôle. Je les regarde jouer, essaie de comprendre la règle. Ma tête est peut-être fatiguée de mon trajet, de cette circulation. Ca ne m’aide pas. Le jeu semble s’apparenter au jeu de dames. Je n’en saurai que ça.
Je reste là quelques minutes à les regarder jouer.
Je les abandonne, reprends le rickshaw et poursuis ma route.
J’approche du vieux dhaka, arrive vers Nazir Bazar
Un jeune homme me demande de stopper. Il veut me prendre en photo ( ? ! ) Je m’arrête. Nous bavardons. Il parle anglais. Je lui explique mon projet, mon voyage. Il apprécie, se montre enthousiaste. Un attroupement se forme rapidement. Les questions viennent de droite, de gauche. Je réponds. J’essaie. Coup de klaxon. Les voitures ne passent plus dans la rue étroite. Ca me rappelle quelque chose.
Il me faut repartir. Des enfants me poussent et m’aident à relancer le rickshaw.
Beaucoup d’échoppes sont closes dans le quartier. En revanche, les petits vendeurs de mille et une choses sont là, encombrants les rues et les trottoirs. Les rues deviennent plus étroites sur cette partie de ville, la circulation plus dense. Il faut être plus vigilant encore. Je m’approche d’un restaurant, regarde à l’intérieur. Il est bondé. C’est bon signe. Je m’arrête, descends du rickshaw. Quelques manœuvres pour l’approcher du mur bordant la rue. Je l’attache au cadenas, et rentre dans le restaurant…
Jean-Louis
(à suivre)
(1) Quartier au nord de DhaKa où est installée la Compagnie de rickshaw de Mustaffa (voir article précédent)
(2) « Bonjour »